Être entourée de livres, d'images et de mots et tenter d'en dire quelque chose, de partager...

Garder une trace, vaine intention, peut être... Tant pis...

Un blog à défaut -blogger - (et oui, je cède à la simplicité et je me fais complice de google, tant pis....). Les messages s'affichent des plus récents aux plus anciens...



lundi 28 novembre 2016

Le capitaine écarlate

Emmanuel Guibert, David B., Dupuis, (collection Aire Libre) 2000

A regarder mon visage on devient fou, on meurt ou on devient sage. Choisis.

Cette bande dessinée emprunte les arcanes de la littérature populaire.
Fantaisie et cruauté s’y côtoient allégrement.
La poésie des rustres, des cœurs et des rêveurs entraîne le lecteur dans une histoire moins sordide qu’elle n’en a l’air.

L’aventure se conjugue au pluriel.
On fait connaissance d’un écrivain qui «apprécie l’argot parce que c’est un livre d’images » et les yeux d’une belle qui s’échappe de lui chaque soir pour rejoindre le royaume de la nuit.
L’on y croise le monde de la ville, de la pègre des bas-fonds à la petite bourgeoisie de commerce. Entre eux, un inspecteur véreux qui ne souhaite que « protéger les riches des pauvres » et dirigent des flics peu glorieux.
Mais, c’est sans compter les pirates, ceux-là n’ont pas peur du sang, du combat et de la mort. Ils jouent leur vie contre l’éthique de leur camaraderie et l’étoffe de leurs rêves.

Croqués par le trait épais de David B, tous ces personnages possèdent au moins un visage.
Tous, sauf un, dissimulant le sien derrière un masque énigmatique,
capable de provoquer des tempêtes, il vogue avec son équipée
sur son vaisseau dans le ciel de Paris.

L’aventure est assurée, rythmée par un contre la montre
ne défiant pas  le temps, plutôt la vraisemblance.

Les péripéties se succèdent de pages en pages.
Les situations aussi réalistes qu’incongrues, 
mêlent l’horreur à l' humour, la douceur à la stupeur.

Les cases sont pleinement investies par des couleurs vives et contrastées
Le ciel est bleu, mauve, jaune,
La ville est verte rousse ou noire.

Un charmant désordre puisqu’il n’est pas chaotique
Celui qui cherche une morale a de grandes chances d’être déçu.
La vie se joue dans les rêves.

Hors normes mais près des hommes.
Voila où semble se situer ce bel album de bande dessinée.








dimanche 23 octobre 2016

Les équinoxes

Cyril Pedrosa, Dupuis, 2015 

 
Il y a les mots, des formes et des couleurs.
Ils s’imprègnent les uns des autres et des histoires se diluent.

Triptyque pour quatre saisons.
Une équation bancale ? 
Un équilibre précaire, à l'image de ces vies qui se découvrent au fil des pages. Parmi la foule des personnages, certains resteront inconnus, d’autres deviendront familiers.

Quelques-uns sont saisis par un instantané. Leurs regards sont accaparés par l’objectif d’une inconnue. Surpris, ils s’y trouvent ou s’y perdent et la photographe chemine.

À leurs côtés, des histoires familiales arpentent le récit. Entre incompréhensions, tensions et tendresse, des nœuds se lient et se défont.

Enfin, on partage le parcours d’un petit être. Le temps d’un cycle saisonnier, comme un chemin initiatique au contact de l’univers et des quatre éléments. 
  
L'album est imposant, mais rien ne s'impose tout semble suggéré. 
Il y a des âges, poussant les hommes à agir pour exister, à la recherche de refuges, de quiétude ou de réconciliation.
Il y a des parages, une France traversée d’Est en Ouest.
Une certaine France…entre mémoire et nostalgie. Politiquement vaseuse, enlisée elle se situe entre la valse de combats toujours amers et les emprises d’une modernité marchande. 

L'auteur s’empare de l’écriture, du dessin et de la forme bande dessinée pour construire son album. Qu’unit donc les paragraphes rédigés, les dessins sans textes ou légendés et les pages mises en cases ?

Une temporalité ? elle est désarticulée.
Un récit ? il est sans cesse interrompu.
Cependant un rythme s’installe.
Les couleurs apportent des nuances. Une teinte homogène discrètement s’immisce. Le trait à la fois fuyant et sec se fait familier, une certaine proximité s'arrime à la lecture. L’intimité se joue dans le masque des apparences.
 
Sans laisser place à la monotonie, le temps s’est écoulé, les pages se sont succédées.
Sans être résolues des trajectoires individuelles et collectives se sont dessinées.

L’alternance de toutes parts, invite à la réflexivité .  
Libre d'inscrire sa propre histoire par une lecture sensible,
serait-ce au lecteur de trouver l’unité ?

Mutation tranquille
Subsistance fossile
Fil de vie.





vendredi 23 septembre 2016

Faire semblant c'est mentir

Dominique Goblet, L'Association, 2007
Le titre a eu raison de ma sélection dans les rayons de la bibliothèque.

L'album a le format d'un livre d'enfant.
Ce n'est peut-être pas dû au hasard.
Il débute par la chute d'une petite fille, réconforté par la magie d'un geste maternel
Le trait est naïf dans les pages de ce prologue,
ensuite, jouant des styles et des techniques, il accompagne et incarne le récit qui se déroule en quatre chapitres.
Dans les dernières planches le crayon cède la place au pinceau,
signe d'un changement, d'une évolution, d'une maturité ?

Dominique, 
un prénom androgyne pour la femme dont l'histoire se livre.
A la fois fille, mère et amoureuse, elle se découvre et se retrouve,
entre désirs et réminiscences,
entre souffrances mal enfouies et bonheurs esquissés.

le passé se laisse entrevoir,
par des souvenirs réinventés, des gribouillis d'un réel subjectif,
des ombres errantes au fil des pages.
le futur, lui, résiste à se dessiner.

Dominique,
c'est aussi le prénom de l'auteure.

Se dévoile alors la part autobiographique,
mise en jeu, (mise en joute ?) par la fiction.
Le dessin filtre et dévoile.

Strates de vécus accumulées
amas de non-dits, de silence, de maladresses,
des gestes de tendresse et de complicité,
de la douceur évaporée...
Les pages émettent le son d'un brouhaha incessant,
Les corps tirés vers des caricatures, expriment parfois plus que les mots,
Souvent foutraques et denses, les cases donnent l'impression d'un grand désordre.
Celui peut-être d'une intériorité en train d'être sondée,
D'hypocrisies innocentes devenues coupables ?

Faire semblant c'est mentir,
Alors peut-être que, livrer cette pagaille,
c'est tracer les lignes d'un apaisement.
 

dimanche 15 novembre 2015

R.I.P. RIC !

Les nouvelles enquêtes de Ricochet
Par Simon Van Liemt et Zidrou, d’après Tibet et Duchâteau, Le Lombard, 2015.
 
Revisiter une œuvre, qui plus sérielle et d’une si grande longévité, n’est pas l’exercice le plus facile. 
Défier l’œuvre sans la défigurer ? Le pari est tenu pour Simon Van Liemt et Zidrou. Avec ce premier album, ils donnent au personnage de Ric Hochet, un alter ego, fidèle à lui-même, mais résolument différent.

Pour ceux qui ont lu, jeunes ou moins jeunes, l’intégralité des 78 tomes de la série de Tibet et Duchâteau, une familiarité certaine s’est installée avec les personnages, le style et le rythme des enquêtes. Avec ce nouvel album, le lecteur n’est pas privé de tous repères, dès la première page, il retrouve Paris, le confort d’un intérieur propret au clair de lune et, le sourire de Ric Hochet. Pourtant quelque chose de plaisamment dérangeant s’est immiscé.… à la première case le lecteur est apostrophé sans ménagement, à la troisième, c’est l’œil perçant d’un chat noir qui le fixe sans défaillir. Interpellé, le voilà engagé à suivre ces nouveaux auteurs ou ce mystérieux interlocuteur ? Qui mènera donc l’enquête ?

Pas de nostalgie, ici, plutôt une saveur rétro jouant entre la patine du passé et l’écriture graphique et narrative remise au goût du jour. Les codes esthétiques sont conservés mais subtilement revisités. Il en va ainsi des personnages qui, gardant leurs bonhomies, se dotent de duplicité. Les corps se font plus charnels et les relations humaines prennent alors une autre dimension. Par son dessin, Simon Van Liemt apporte un regain de dynamisme à l’ensemble, les mouvements sont plus vifs, les déplacements plus lestes. Les couleurs enfin, sont elles aussi rafraîchies mais préservent la tonalité générale des précédents albums. 

Le scénario est audacieux, déroutant. Il est question de double et de vengeance. L’intrigue a quoi tenir en haleine le lecteur. Ce qui pouvait devenir un thriller sombre et tragique, se déroule entre frivolité, humour et doute, sans rien affaiblir du suspense. La narration est finement menée, construite entre voix-off et dialogues, entre lecteurs et personnages, toute l’histoire se joue d’allusions et d’hommages aux anciens albums et plus largement à la bande dessinée franco-belge. 

R.I.P. Ric !? Faut-il pour retrouver Ric Hochet le perdre définitivement, s’accommoder d’un nouvel homme, serait-ce son pire ennemi ? 

Jouer à déjouer, a peut-être été la règle que se sont imposés les auteurs, c’est certainement l’invite faite au lecteur.

Du jeu au je, l’identité est funambule, le caméléon fera-t-il régner sa loi ?

La réponse, en lisant… !

samedi 17 octobre 2015

Polina

Bastien Vivès, Casterman, KSTR,2011

Toute jeune, l’auteur choisit son personnage, il la quittera devenue femme. Aux premières pages, Polina est encore enfant, accompagnée par sa mère dans une académie de danse, elle s'apprête à passer sa première audition. Passage réussi.

Le lecteur suivra alors son apprentissage marqué par la rigueur, l’audace et la discrétion. Il verra son corps de jeune ballerine s’armer de droiture,  décèlera les grimaces dissimulées derrière la grâce déployée. Le parcours de Polina se trame dans les coulisses des ballets européens, entre le faste classique et l’avant-garde charismatique.

Tenu tel est le trait de Bastien Vives, à peine esquissé, son geste dessine l’amplitude des formes, l’élégance des tenues et la justesse des poses toujours sur l’abîme. Sauvage aussi, il contient la fugue des esprits, les rêves vaniteux et les élans amoureux. Fragile enfin, il dévoile les doutes, les peurs, les scléroses de l’émancipation. 

Entre la page et le crayon se joue la liberté du geste;
entre le maître et l’élève se déploie le chemin de liberté. 

samedi 29 août 2015

Tina Modotti.

Ángel de la Calle (traduit de l’espagnol par Rachel Viné-Krupa).
Coédition Vertige Graphic / Envie de lire, 2011

Partir sur les traces d’un personnage, tel est le projet de cette bande dessinée.


Tina Modotti est une femme d’exil, de couleur, de souffrance et d’amour. 
Son parcours mêle engagement politique – communiste – et artistique – la photographie. L’un cédant la place à l’autre. Passionnément, elle avance, conjuguant les refus, l’abandon et la lutte.

Plus qu’une biographie, ce récit narre la rencontre de l’auteur et cette femme. Approche réflexive et parcours croisés,il invite le lecteur dans sa propre quête. Il navigue dans un monde bâti, détruit, trahi, une époque écoulée, aborde le cœur d’une femme, univers insondable.

Pas de déballage, un regard toujours pudique. L’auteur ne choisit pas, il parle d’elle, il part d’elle. Exigeant dans son enquête, mais aussi respectueux. Militant de son temps, il n'est pas prescripteur. Il parle d’une histoire sombre, belle et cruelle. Débordant l’écrit historique, il se situe ni en deçà ni au-delà, mais dans un espace de vies, vécues, appréhendées, imaginées.

La lecture est dense, l’auteur ne fait pas l’économie des mots. Il laisse souvent place à la parole conservée, introduisant des extraits de correspondances, mais aussi des écrits d’auteurs contemporains d’hier et d’aujourd’hui. Les corps dépouillés par des formes graphiques simples, n’en sont pas moins présents, vivants et morts. A la lumière des images les mots s'éclairent et les images se révèlent à la force des mots.

Le traitement de l’archive est pleinement visuel, comment rendre l’expérience photographique de Tina, à travers une bande dessinée ? De son œuvre, il reste des clichés, quelques-uns exposés dans des musées et galeries et d’autres conservés dans des albums. La matière photographique n'est pas introduite, directement. Jamais brutes, l'auteur s'approprie les photographies par le dessin. Plus qu’une simple représentation, moins qu’une interprétation, il les incorpore à la trame narrative et séquentielle des pages. Par ces détournements, il apporte un souffle de vie et retrace les contours d'histoires saisies par l'objectif.

Curieux, le lecteur peut découvrir à la fin de l’ouvrage, plusieurs reproductions photographiques, une bibliographie et quelques notes de l’auteur. Dévoilant son atelier, il invite à prolonger la découverte de l’œuvre de Tina Modotti, à poursuivre la mise en perspective des utopies en germe, des illusions déçues.


mercredi 15 juillet 2015

L’Éternaute

Intégrale du premier cycle
Hector Oesterheld, Francisco Solano Lopez, Vertige Graphic, 2013

On m’avait dit tu verras
Et alors, j’ai vu, j’ai lu.
C’est toujours plus que ça,,
Plus qu’une simple addition quand on a une bande dessinée dans les mains.
On voit, on lit, on se laisse entraîner, on réfléchit.

L’Éternaute
le mot est un néologisme
L’histoire relève de la science-fiction.
Une parabole, une allégorie, peut-être.

Un ennemi attaque, il recouvre sans se découvrir la ville d’un poison mortel…
En un instant, la cité devient un tombeau ouvert.
Réagir mais comment ? Tel est l’enjeu qui se présente aux survivants.
Faire société, nécessité incontournable ?
Quand la menace s’exprime, le reste s’exacerbe.

Indéniablement, le scénariste Hector Oesterheld réussit à mettre en tension le lecteur.
L’histoire naît d’une double narration. Un homme tranquillement installé à son bureau voit soudain surgir face à lui un être de chaire et pourtant sans âge, l’Éternaute.
Une apparition fantastique, vite oubliée, devant le récit qui se dresse. L’homme se met à parler, il raconte autant qu’il témoigne, se souvient en souffrance.

Francisco Solano Lopez, par son trait sombre mais précis, vient donner corps à des créatures inconnues, mouvements à des troupes dispersées et scène à une ville endormie. Ce dessin noir et blanc et réaliste teinte la lecture d’une inquiétante atmosphère.

Parue en épisodes entre 1957 et 1959 dans un journal « d’historietas », cette œuvre a accompagné les moments sombres de la deuxième moitié du XXe siècle argentin. Oesterheld, victime de la dictature, d’autres auteurs  et notamment Alberta Breccia ont poursuivi et repris ce récit.

Récemment, la maison d’édition Vertige Graphic a entrepris de publier la version complète de cette aventure, en respectant son format original. Avec cette intégrale du premier cycle par Oesterheld et Lopez, le lecteur tient entre ces mains un bel album à l’italienne. L’occasion lui est donnée de se plonger dans une œuvre devenue symbole de lutte et de résistance et qui aujourd'hui résonne encore. Le pouvoir peut être rigoureusement dangereux, restons acteurs, restons lecteurs, soyons vigilants !

©Vertige Graphic 2013 ( illustration non signée issue de l'album)